L’apprentissage de la violence
La maltraitance commence dès lors où le parent se priorise par rapport aux besoins de l’enfant.
La violence commence dès lors où l’enfant a peur de son père, sa mère, ou d’un membre de la famille qui prend l’ascendant sur le foyer.
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Un enfant élevé dans la violence grandit dans la peur. C’est un climat d’angoisses et d’insécurité qui plane sur son existence. Il est alors dans l’obligation de mettre en place des stratégies de survie : se taire, s’adapter, se montrer discret, plaire, obtempérer, etc. Il éteint sa spontanéité car, être, est synonyme de danger. Il perd confiance en lui et dans les autres. Il se sent impuissant. Il peut même aller jusqu’à la dépression, s’empêcher de vivre, ne se sentant pas le droit d’exister. Il peut devenir insupportable, caractériel, empoté, idiot, ce « bon à rien » sentencié par le parent… ce qui donne alors une bonne raison à la violence et la maltraitance. L’enfant, sous le joug de la terreur, est dans un état de veille impossible à gérer, il peut devenir de plus en plus maladroit, éloigné de l’image fantasmée que le parent lui a posé dessus, et, la spirale de la violence ne fait que s’accentuer. Ce n’est alors pas l’attitude de l’enfant qui crée la violence, c’est l’existence même de l’enfant qui déclenche la violence. L’enfant n’est pas cet incapable, cette « merde », ce « garnement » qui justifie la violence, c’est la violence subit qui le détruit, le brise et le fait devenir ce qui horripile le parent. Maltraitance et violence ne sont pas à hiérarchiser. La maltraitance reste de la maltraitance, la violence reste de la violence. Les graduer serait injurier la souffrance subie.
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L’enfant qui vit dans la violence apprend la hiérarchisation et la loi du plus fort. Celui qui est violent domine, celui qui la subit est soumis, c’est-à-dire l’enfant (voire également les autres membres de la famille).
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Cette violence peut prendre différents visages. S’il y a celle physique qui est visible, moyen radical qui ne tergiverse pas pour soumettre (les coups, l’inceste) et il y a celle plus pernicieuse qui est la violence psychologique (100% des violences physiques s'accompagnent et existent de par la présence de violences psychologiques). Être indifférent aux besoins de l’enfant, l’ignorer, communiquer par les cris et/ou imposer le silence, l’intimider (verbalement mais aussi physiquement comme gestuellement), le dévaloriser (« ce gamin est nul »), l’humilier (physiquement, verbalement), l’injurier, le mépriser, comparer l’enfant pour davantage l’inférioriser, le brimer, imposer sa toute puissance, rabaisser et/ou maltraiter sa mère ou son père devant lui, sont autant d’atteintes à son intégrité. Ces violences répétées viennent nuire au développement de l’enfant. Les violences s’accompagnent souvent de manipulations perverses, l’adulte tient alors l’enfant responsable de ses propres agissements, il le fait culpabiliser. Il l’utilise pour justifier ses actes. Il peut aussi faire du chantage affectif, diviser pour mieux régner, demander à l’enfant de choisir entre son père et sa mère, semer la confusion dans l’esprit de l’enfant, s’en servir de faire valoir ou le discréditer pour retirer une meilleur estime de soi, etc. L’adulte peut utiliser sa souffrance comme une arme destructrice contre son enfant, il se victimise et peut ainsi écraser son enfant de ses attentes, être dans une dépendance affective avec son enfant (étouffer d’amour) et/ou au contraire le rejeter et le négliger, inverser les rôles (l’enfant devenant le parent de son parent), avoir un comportement ambigu voire incestuel (demander inconsciemment à l’enfant de remplacer le conjoint « tu es l’homme, la femme de la maison maintenant », aller jusqu’à ne plus avoir de limites sinon équivoques entre son intimité et celle de son enfant). Il peut se poser aussi des secrets et non-dits sur une violence exercée à l’extérieur ou à l’intérieur de la famille sur lui-même et/ou un membre de sa famille (inceste, viol, racket, tabassage, etc) et faire taire l’enfant, ne pas l’écouter (voire même lui interdire d’en parler), le punir, rendre tabou le sujet, le forcer à « oublier » voire même nier l’évènement, sont des traumatismes violents pour l’enfant. La famille n’est alors plus un lieu sécure puisque la violence est permise voire encouragée (la/les victime(s) étant muselée(s) voire « châtiée(s)»). La culpabilité de l’enfant est alors immense. La souffrance est ravalée, refoulée et gonfle…
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Il n’existe aucune violence indirecte : malmener voire violenter l’animal de compagnie, d’autres membres de la famille, brutaliser un des parents devant lui sont autant d’actes qui terrorisent l’enfant. L’enfant ne sait prendre de la distance par rapport à ce qu’il perçoit. Ainsi, la violence qu'elle soit subie sur lui ou sur ceux qu’il aime entraîne de graves répercussions sur son psychisme.
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Celui qui use de la violence se perçoit dans son bon droit et peut même se cacher derrière la casquette du parent bienveillant (« c’est un enfant difficile », « c’est pour son bien », « ce n’est pas facile pour moi »). Mais qui sont donc ces personnes maltraitantes et violentes ?
Il y a celles dénuées de leur humanité, de leurs émotions. Ces individus assujettissent sous de possibles allures calmes, séduisantes, gentilles. Ils sont dans un rapport vertical, ils sont au-dessus des autres, allant jusqu’à la toute-puissance, l’enfant est donc forcément en-dessous de lui. Ils tyrannisent parce que l’autre lui est inférieur et doit se plier à ses exigences. Il n’y a pas la reconnaissance de l’individualité de l’autre. Ainsi, si cet autre ne fait pas comme lui l’entend, agit différemment de ses pensées, c’est alors perçu comme un affront (l’autre se positionnant à son « niveau »). La violence est la seule réponse car elle soumet (et remet le rapport vertical). Ces personnes ne se remettent pas en cause, la souffrance qu’ils font subir n’existent pas à leur yeux.
Il y a aussi ceux pris dans leurs propres blessures, leurs traumatismes d’enfant non réglés. C’est le déni de leur souffrance qui les rend violents. La violence est alors le moyen d’évacuer leurs propres douleurs. Pas en paix avec eux même, tout ce qui vient chahuter leurs mécanismes de défenses sont perçus comme des attaques, tout ceux qui ne réagissent pas comme eux les mettent en danger. Les enfants dans leur spontanéité les perturbent, et leurs enfants viennent, par effet miroir, leur faire revivre inconsciemment leurs souffrances passées. C’est insupportable. Leur réactionnel est à la hauteur de leur souffrance vécue, c’est-à-dire de leurs blessures béantes. Ces personnes finissent par reproduire ce qui les avait fait souffrir… La violence émise est une façon d’exprimer la violence qu’ils portent en eux et qu’ils n’ont toujours pas entendue. Ils peuvent aussi utiliser leur souffrance, leur apparente soumission comme une arme contre les autres, la victimisation permettant une emprise perfide pour manipuler, culpabiliser, écraser et garder prêt de soi. La souffrance peut alors se transformer en manœuvre et la violence se déguise en amour….
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L’apprentissage de la violence la banalise et devient un repère… normal. L’enfant distingue alors une graduation entre les individus, celui qui est violent domine, celui qui subit se soumet. Il peut alors dès l’enfance, la reproduire et maltraiter ses camarades, frères et sœurs voire le(s) parent(s). La violence devenant son mode de communication. Être celui qui domine est préférable car c’est se ranger du côté de celui qui existe et du côté des « plus forts ». Mais, il peut aussi se sentir tellement dévalorisé que la seule place qui lui semble sienne est celle de la soumission, il devient alors le souffre-douleur familial, de l’école, ceci pouvant se perpétuer à l’âge adulte. Il se considère comme une « serpillère » où les autres peuvent s’essuyer dessus…
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Et l’enfant devenu adulte ?
La violence subie est intériorisée, elle est (auto) destructrice. La violence subit au coeur de la famille, le siège de l'amour, modifie sa perception de l'amour avec lui-même comme avec les autres.
Quand la violence n’est pas nommée, cela est intégré comme une normalité. Quand la manipulation n’est pas révélée, elle devient une façon banale de se comporter pour arriver à ses fins. La souffrance est anesthésiée et justifie les actes de violences.
La violence laisse des marques et des blessures. Autant de souffrances qui viennent diriger l’Être. Il se positionne alors en tant que dominateur, soumis, bourreau, victime, en changeant possiblement de casquette. La première violence qu’il déverse, c’est sur lui-même. Se joue en lui, un double rôle, il est à la fois le dominateur violent et maltraitant : il se dévalorise, se culpabilise, se flagelle, croule sous le poids d’obligations contraignantes qu’il se donne, se juge, se critique, est exigent, en quête de perfection, etc. Il reproduit sur lui la violence subie qui ne s’arrête jamais... Et puis, revit en lui, tout à la fois, l’enfant soumis et apeuré : sentiment d’impuissance, incapacité d’actions, rébellion, mutisme, dépression, fuite, etc. A l’intérieur de lui, plane un enfer, l’Être se maltraite en permanence… Et cette violence envers lui-même se répand sur les autres, il tyrannise à son tour, domine, manipule, se soumet, se victimise. Et s’il fonde une famille, le cycle des violences se perpétue…
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La violence n’est pas une fatalité… Il y a d’abord à accepter cette violence que l’Être porte, s’en se juger. C’est en plongeant dans l’abîme de ses souffrances qu’il peut libérer l’enfant tétanisé qui vit en lui (qui est bien souvent en colère). C’est en faisant ce pas vers lui, qu’il peut déconstruire ses peurs, ses schémas autodestructeurs, se défaire de la violence et de la maltraitance pour enfin s’Aimer. C’est par la réconciliation avec lui-même qu’il peut changer ses attitudes et offrir la paix autant à lui-même qu’au monde extérieur. Et cela peut prendre du temps, l’apprentissage de la violence et la transmission cellulaire de la domination/soumission laissent de nombreux stigmates parfois difficiles à repérer. La violence n’est pas une fatalité, c’est un choix et il est grand temps d’être responsable devant sa propre souffrance, violence et de s’en délivrer…
Céline (28/11/16)
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Image : Michael Cheval
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